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Titel
Avenches. La ville médiévale et moderne. Urbanisme, Arts et Monuments.


Autor(en)
Grandjean, Marcel; Pradervand, Brigitte; Fontannaz, Monique; Schmutz, Catherine
Reihe
Documents du Musée Romain 13 et 14
Erschienen
Avenches 2007: Fondation de la Cité d'Avenches
Anzahl Seiten
564 S.
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Gilbert Coutaz

Après avoir investi de ses recherches novatrices et stimulantes le patrimoine monumental de Lausanne, Lutry, Coppet, Rue et Cudrefin, Marcel Grandjean s’est emparé du passé post-romain d’Avenches. Il livre une publication, comme à l’accoutumée, fouillée et nuancée, panoramique et encyclopédique. Nourri de sa connaissance sans pareille de l’urbanisme dans les États savoyards au nord du Léman, il peut à tout moment recourir à des éléments de comparaison avec d’autres situations locales et régionales du Pays de Vaud, restituant des zones d’influence et des réseaux d’artisans et d’artistes. La réussite, et l’objectif n’était pas sans danger, c’est d’avoir pu et su restituer, aussi proche que possible des faits, un passé médiéval et moderne à une ville, marquée depuis deux cents ans par son passé romain, en dehors duquel peu d’auteurs se sont risqués à écrire, s’en tenant à des appendices de la notice de dictionnaire «Aventicum» 1).

En faisant démarrer son introspection dès le début du XIe siècle, l’auteur postule la continuité de l’histoire du site d’Avenches, certes par paliers, mais bien réelle. Faisant partie de la mense épiscopale primitive – à la suite du démembrement de la Civitas Helvetiorum dont Avenches était le centre, le diocèse de Lausanne fut constitué à la fin du VIe siècle –, Avenches retrouva une importance géostratégique, au XIIIe siècle, dans l’organisation territoriale de la principauté de Lausanne. Une ville neuve s’étire dès 1259 sur le promontoire, resté apparemment vierge d’habitations jusqu’alors, de 285mètres de long sur 180 mètres de largeur au maximum; elle domine la plaine de la Broye et est disposée sur les marges de la ville antique, en réduisant singulièrement les contours du système défensif. Elle est inspirée du plan zähringien avec des inflexions sensibles du modèle original, imposées par les contraintes du terrain et les dimensions spatiales du site; elle affirme le pouvoir épiscopal face aux prétentions savoyardes avec les villes voisines de Morat (enceinte en 1238) et Cudrefin (1246/1255) ; elle s’appuie, tout en en étant distante, sur les autres points du pouvoir épiscopal, Lucens, Villarzel et Curtilles, et plus loin Bulle. Jean Cotereel, maître d’oeuvre de la cathédrale de Lausanne, qui est également l’auteur du plan de la ville de Saint-Prex, en 1234, pourrait être le concepteur de l’urbanisme d’Avenches; Marcel Grandjean glisse précautionneusement ce nom comme hypothèse de travail qui séduit beaucoup par sa cohérence.

Examinant avec une minutie admirable la topographie et la typologie des constructions de la ville, l’auteur brave tous les handicaps d’une documentation lacunaire (il ne dispose ni de comptes épiscopaux ni de comptes communaux avant le XVIIe siècle ni de plans cadastraux avant le deuxième quart du XIXe siècle) et d’une archéologie balbutiante et peu curieuse. Il commente et exploite, dans le chapitre initial de son livre, au titre évocateur «Un site unique à redécouvrir», la richesse iconographique et photographique de la «vision globale du site et de la ville», en multipliant les angles de vue, au propre comme au figuré, et en croisant systématiquement les renseignements avant de livrer ses résultats 2). Il passe en revue le plan urbain, l’oppose au modèle de référence et en recense les adaptations, s’attarde sur les éléments emblématiques et paradoxaux de la future disposition de l’habitat (l’amphithéâtre, «véritable interface entre le site de la ville antique et celui de la ville neuve médiévale» 3), et la tour de l’Évêque) qui ont précédé la ville neuve et relevant du «Vieux Bourg», situe le contexte et les raisons de la ville neuve, en dessine les contours au travers des composantes de la voirie et des fortifications, recense et analyse les bâtiments emblématiques existants et disparus, les «monumenta deperdita» (château, églises et lieux de culte, hôtels de ville et hôpitaux et autres édifices publics et d’utilité publique parmi lesquels les trois collèges, du XVIIIe siècle, de 1837-1838 et de 1904, la gare de 1876, la poste de 1902-1903, le haras fédéral de 1899-1909 et les fontaines méritent une mention particulière).Après avoir présenté en trois chapitres successifs l’architecture avenchoise entre le Moyen Âge et la Grande Guerre, l’auteur traque les éléments architecturaux rue par rue, s’intéresse aux accès et aux abords de la ville, sans oublier dans son dénombrement les moulins et les ponts. Il termine son parcours de la ville, en consacrant cinq chapitres aux matériaux de construction, aux différents corps des artisans et des artistes dans les domaines de la peinture, de la verrerie, du métal, du bois et de la pierre, ainsi qu’aux architectes et aux ingénieurs.

Les conclusions de l’enquête sont fortes: Avenches possède la ou l’une des plus anciennes tours de Suisse romande, en la tour de l’Évêque du XIe siècle; la ville s’est développée sur les bases d’un plan dont le modèle a été fortement adapté aux exigences du site, a été enceinte d’une fortification avec des dispositifs inhabituels (portes, tours, barbacanes, fossés, braies et «richettes», soit des petits ouvrages de soutènement), deux tours survivantes, Bénenville et Vully, dont la disposition caractéristique a été relevée dans les vues d’Avenches, en comparaison avec le clocher effilé gothique de Sainte-Marie-Madeleine. Les témoins gothiques et gothiques tardifs sont plutôt rares à Avenches. Le principal témoin de l’Avenches moderne est le château Renaissance, rénové et agrandi à partir de 1565 et qui servit de résidence aux baillis, dont les plans inspirèrent ceux du Musée d’Histoire de Berne. Le XVIIIe siècle atteste la construction à la fois du temple réformé en 1709-1711 qui amena la destruction d’une grande partie de l’église médiévale dont le choeur roman de Sainte-Marie- Madeleine, de l’auberge de la Couronne en 1711-1713, du nouvel hôpital (1720-1724) et de la nouvelle maison de ville (1753-1754). L’allure générale de la Grand-Rue se modifie progressivement dès la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu’à lui faire perdre ses derniers caractères ruraux en 1905, par l’apparition de nombreux bâtiments privés de belle facture. La rue Centrale connaît également des changements qui permettent malgré certaines imperfections de maintenir encore aujourd’hui un ensemble monumental, relativement homogène et cohérent. «Les derniers éclats architecturaux» sont constatés au tournant du XIXe siècle avec des apports directs d’architectes lausannois, fribourgeois et de la Broye, si ce n’est pas de Paris. L’étude fine du monde des artisans et des artistes démontre une ville ouverte aux influences «des villes environnantes ou politiquement dominantes…».

Les recherches de Marcel Grandjean impressionnent par la précision et l’ampleur de l’appareil critique 4), ainsi que le nombre de documents d’archives, de vues, de plans, schémas, cartes et de photographies reproduits souvent en couleurs. L’écrin éditorial se mue en monument éditorial, à la hauteur des textes et des thèses à servir, la ville d’Avenches devient à son tour un monument en soi. Aux côtés de l’auteur, avant tout un observateur subtil et un homme de terrain, muni d’un calepin et d’un appareil photographique 5), le lecteur se promène, dans la ville et ses alentours, dans les ruelles traversières et les ruelles «punaises», le long des fortifications et des tours de défense. Il prend connaissance (c’est une forme de reconnaissance de leurs recherches restées manuscrites ou multicopiées) des travaux de l’ancien archiviste communal d’Avenches, entre 1972 et 1984,Yoland Gottraux, et de Denis de Thurey, qui classa, en les commentant, les transcrivant et les traduisant au besoin, les archives d’Avenches en 1750, à la veille de la construction d’une nouvelle maison de ville. Il entre de plain pied dans le déroulement chronologique du développement de la ville médiévale et moderne de la ville d’Avenches, saisi dans sa globalité et ses détails.

La méthode «Marcel Grandjean», décrite dans les termes choisis en 1988 et éprouvée depuis sans faille 6), est transparente (l’auteur signifie partout où cela est nécessaire ses hésitations et ses incertitudes), pondérée et humble, alors que les résultats sont spectaculaires: la ville d’Avenches est désormais rangée «au premier plan dans l’histoire des grands sites et monuments, non romains aussi».

Non seulement les monographies locales et régionales du canton de Vaud s’enrichissent d’une nouvelle contribution, une fois de plus exemplaire de Marcel Grandjean, mais trouvent dans le message final de l’auteur les motivations de la recherche fondamentale: «Et si, pour tous, il [le rappel de ces remarquables lignes de forces] incitait à une conservation toujours plus harmonieuse et ‹durable› d’un environnement architectural qui constitue un patrimoine incomparable, et – ce n’est pas un point de détail! – à un respect retrouvé et énergique de son site très particulier: il n’est jamais trop tard…» 7) Les nombreux mécènes qui ont permis la publication de l’ouvrage (c’est aussi le miracle de cette recherche) dont la commune d’Avenches et différents partenaires locaux ont fait oeuvre nécessaire bien plus qu’oeuvre utile. D’autres initiatives devraient s’inspirer de cette démarche.

1) À preuve, le dernier témoin du déséquilibre donné au traitement des articles «Avenches» (Christine Lauener) et «Aventicum» (Philippe Bridel), in Dictionnaire historique de la Suisse, 2002, t. 1, pp. 631-632 et pp. 632-636. Le premier est désormais dépassé par les apports de l’ouvrage de Marcel Grandjean.

2) Le corpus comprend 32 témoignages visuels.

3) Page XII.

4) Cf. pp. 394-536.

5) Marcel Grandjean est l’auteur de nombreuses photographies utilisées dans l’ouvrage.

6) «On ne répétera jamais assez, comme le bon sens l’exige, qu’il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs. Ce n’est pas moins vrai en histoire de l’art monumental. Aussi ne dira-t-on jamais assez qu’il faut procéder aux patientes recherches systématiques de documents, puis à l’analyse de tout le matériel disponible, avant d’émettre un jugement définitif, de formuler une théorie si fascinante, soit-elle, d’élaborer une nouvelle méthodologie, activités intellectuelles plus exaltantes bien sûr que la simple mais fondamentale enquête sur la vérité des faits. Seuls en effet une documentation approfondie, un inventaire honnête, une analyse fondée éviteront à notre histoire de l’art, à notre histoire des monuments, à notre histoire des villes, les dangers qui les guettent : idées préconçues, hypothèses non pertinentes, synthèses prématurées. Gardons en tout cas toujours en mémoire ce que disait déjà André Chastel en 1969 et qui ne peut que rendre modeste tout historien de l’art aussi grande que soit son envergure. Combien de fois ne verra-t-on pas encore quelques lignes d’un érudit provincial raturer une longue littérature.» (Marcel Grandjean, «Vers une histoire fondamentale de l’urbanisme médiéval dans le Pays de Vaud. Nouvelle apologie de l’infanterie en histoire de l’art monumental», in Nos monuments d’art et d’histoire, N° 4, 1988, p. 428).

7) Citations empruntées à la page 490 de l’ouvrage.

Citation:
Gilbert Coutaz: compte rendu de: Avenches. La ville médiévale et moderne. Urbanisme, Arts et Monuments, par Marcel Grandjean, avec des contributions de Brigitte Pradervand et la collaboration de Monique Fontannaz et de Catherine Schmutz, Avenches: Fondation de la Cité d'Avenches, Documents du Musée Romain 13 et 14, 2007, 2 t., 564 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 116, 2008, p.271-274.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.04.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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